Un autre facteur est à prendre en compte lorsqu’il s’agit de réfléchir l’innovation. C’est bien évidemment le ressenti des acteurs locaux. La Corse étant une île, son territoire se distingue des autres territoires français. En revanche, il est vrai que l’étendue du territoire de l’habiter, elle, est commune à tous les territoires et n’est pas circonscrite à l’échelle du logement. Ce territoire de l’habiter, propre à chacun, mérite aussi d’être appréhendé selon les caractéristiques sociales des individus. En effet, l’appropriation d’un territoire va être différente pour chaque individu. Certains auront une vision plus grande de ce qui à leur yeux leur appartient, tandis que d’autres seront plus minimalistes. Ainsi, le territoire dans lequel s’étendent les pratiques des individus se différencie en fonction de leur âge, ou de leur genre. L’enquête réalisée par le géographe Guy Di Méo et restituée dans son ouvrage « Les murs invisibles. Femme, genre et géographie sociale » lui permet de dessiner une nouvelle cartographie de la ville de Bordeaux, où l’on voit apparaître les lieux attractifs ou au contraire évités par les femmes. Je pense que l’on peut même aller plus loin dans cette définition du territoire de l’habiter. En effet, il me semble que ce territoire se dessine selon bien d’autres facteurs et je pense tout particulièrement à l’histoire des individus. Il est très remarquable que l’histoire de la Corse prend une place importante dans toutes les pensées des insulaires. De fait, empreint d’un rapport affectif et historique aux lieux, cet espace de l’habiter ne se dessine pas nécessairement de la même façon dans les autres régions françaises qu’en Corse.
Je pense également, du fait des arguments avancés précédemment, que l’insularité accentue le rapport affectif aux lieux, et on peut donc assister en Corse à un découpage interne du territoire. Il existe aux yeux des insulaires plusieurs territoires selon le sujet abordé (la maison, le quartier, la ville, la région le département et enfin l’île).
La construction d’un territoire par les habitants s’articule autour de différentes notions à différents degrés. L’appropriation, condition même du territoire, peut devenir appartenance lorsqu’elle s’accompagne d’un attachement affectif. Et ce phénomène est très identifiable en Corse. En effet, la Corse et ses habitants, de par ce sentiment d’appartenance, a toujours revendiqué son indépendance. Même s’il elle n’est pas totalement politique (cas spécifique de la CTC), la Corse a su marquer son indépendance culturelle et d’esprit. Souvent évoqué dans le cas de manifestations des insulaires, cet attachement est perçu de manière ambivalente par la classe politique. L’ancrage et l’attachement au territoire sont-ils des ressources pour l’innovation ou représentent-t-ils des freins voir des limites à l’innovation?
Selon les travaux de Madame Marie-Christine Jaillet il existe deux manières dont le territoire, dans sa dimension d’appartenance, peut être utilisé par les individus : soit dans une « logique réactive » avec le risque « d’un enfermement dans le territoire et dans une proximité non choisie qui étouffe et asphyxie […], » soit comme « ressource élective » avec la construction de territoires « à distance des problèmes sociaux » (JAILLET, 2007). Dans les deux cas mentionnés ici, l’appartenance au territoire se fait au risque d’une fragmentation accrue de la société.
Ainsi, l’approche territoriale à l’origine de l’innovation et la territorialisation des politiques sociales et économiques actuelles méritent d’être associées à une attention portée aux individus et à cet notion de territoires perçue et vécue, d’autant plus quand il s’agit d’individus insulaires, pour qui le territoire reste encore une notion à la fois forte mais aussi très complexe.
Jean-Baptiste Guadagnini
Etudiant en 1ère année GEA à l’IUT de Corse <
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