inventer un modèle de développement durable en Corse

L’entreprise familiale Corse est-elle un modèle de développement durable ?

par Yannick Rocca et Lea Terrazzoni
étudiants en GEA 1ère année de l'IUT de Corse


     Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’économie mondiale n’a cessé de s’accélérer, de se développer, reposant sur un modèle où le profit généré au fil du temps par les inventions et les innovations, est la seule voie ; on parle du capitalisme.
Le moteur de ce monde capitaliste est l’entreprise, créatrice d’emploi et noyau social des sociétés, malgré les travers qu’elle pourrait engendrer notamment dans les grandes villes : l’égoïsme, l’avarice.
Dans un monde qui évolue sans cesse, la Corse a ses atouts économiques et sociaux. Par une culture de la famille très prégnante en Corse, le lien social y est plus fort grâce à une solidarité mécanique, où « tout le monde se connait Â» tel que le préconisait Emile Durkheim, (« De la division du travail social Â» 1893) contrairement aux grandes villes où l’on parle de solidarité organique, où l’entreprise est l’organe de la société et créatrice de lien social.
La Corse, alors à cheval entre ce monde traditionnel, sauvegardé par la géographie et la religion,  et ce monde moderne, influencé par « l’autre côté de la mer Â», qui constituent son atout économique et social : l’entreprise familiale Corse apporte un plus social, dans une société qui déjà, défend les valeurs de la solidarité envers les siens et les autres.

Les Corses ont toujours eu un rapport très intime avec la terre. Envahie au fil des siècles, la Corse protégeait ses habitants en montagne, là où le climat est capricieux et où l’abondance de la nature en faisait la nécessité pour les Corses de se l’approprier et d’en récolter tous les fruits pour vivre. En langue Corse, être propriétaire se dit «  Esse nant‘ à me Â» (= je suis sur moi, mon terrain fait parti de moi, nous sommes indissociables), ce qui témoigne  du lien puissant entre l’homme, l’être et la terre.
De ce fait, la culture de la terre pour les Corses est fondamentale, l’agriculture, l’élevage, étaient et restent très importants dans la société Corse. Cela constituait la richesse des familles, leur patrimoine, celui qui nourrissait la famille. On pouvait dire d’un Corse qu’il était riche pour la taille de son terrain, de son jardin, du nombre de ses bêtes, de ses outils, de sa propriété et de toutes les richesses qu’il pouvait en tirer. En Corse, on était quelqu’un pour ce que l’on avait. Ce patrimoine précieux puisque la seule possibilité de faire du commerce, de se nourrir soi et sa famille, se transmettait donc de génération en génération et se devait de rester au sein de la famille.
Cette notion de propriété et d’héritage a perdurée dans les mÅ“urs corses.
De ce fait, disposer de/ ou acheter un terrain, un local, pour construire son entreprise, reste aujourd’hui une forme d’identité pour les entrepreneurs, tels que l’étaient les familles qui avaient des terres et des bêtes.

Cela explique la préférence pour les chefs d’entreprises, de léguer leur succession à leurs enfants car :
La propriété reste au sein de la famille où les parents transmettent leur savoir aux enfants.
L’entreprise traverse les générations, perdure dans le temps et se modernise puisque les parents feront plus facilement confiance à leurs enfants qu’à quelqu’un d’autre dans la voie de la modernisation.
Les enfants qui héritent du savoir professionnel des parents, sont capables de gérer l’entreprise, de la moderniser, de la développer, et d’un point de vue social, le modèle familial corse est sauvegardé.

Seule l’innovation dans les modes de gestion et de production, améliore les capacités de production des entreprises ce qui leur permet de perdurer dans le temps. C’est ainsi que les entreprises familiales qui traversent les générations sont celles qui ont su innover et se moderniser.

Cependant, il existe des entreprises qui, se basant sur ce modèle de gestion familiale, n’ont pas perduré dans le temps, n’ont pas su se moderniser. Ce modèle familial a constitué un frein à leur développement. Dans un monde où la santé économique d’un pays est très instable,  ces entreprises se sont cantonnées à une seule activité, à rester telle quelle sans chercher à innover ou se diversifier, ce qui a causé leur perte. Cela s’explique par diverses causes :
Les enfants n’ont pas fait d’études en se disant que papa et maman travaillaient dur, et après avoir profité de l’argent ils font couler l’entreprise par incompétence.
Les enfants se cantonnent à ce que les parents leur ont laissé, et ne font pas évoluer l’entreprise : en voulant éviter les risques, ils prennent ceux de stagnation, de la perte de compétitivité et de la disparition.
À ajouter aussi qu’un changement trop radical peut-être perçu par les enfants comme une forme de trahison à l’entreprise familiale car le respect des parents, prend parfois la forme de la reproduction à l’identique de leur savoir et se traduit par une stagnation.

L’entreprise familiale Corse est-elle un modèle de développement durable ?

Les parents qui transmettent à leurs enfants entreprise et savoir-faire, permettent à l’entreprise de perdurer dans les générations, de se développer, de se moderniser et de s’inscrire dans le temps. D’autant plus qu’ils font confiance à leurs enfants, l’entreprise peut innover face aux évolutions techniques tout en sauvegardant le modèle familial et sa culture du patrimoine.

Néanmoins, cette appréciation se discute. Mais, l’expérience montre que ce modèle familial de l’entreprise est une réussite. Prenons l’exemple de deux entreprises Corses :

L’entreprise Socogaz

Située à Corte et créée en 1972, elle est une entreprise familiale de livraison de gaz en Corse.
Son but est lucratif, et à l’époque de sa fondation, elle était la première entreprise de livraison de gaz en Corse, ce qui représentait pour elle une occasion de faire du profit.

Sa position centrale en Corse facilite la distribution. De plus, son ancienneté lui procure une image de sérieux et de qualité ; que d’atouts pour une entreprise qui traverse les générations grâce à deux innovations :
Elle a été la première en France à proposer des bouteilles de gaz « campingaz » afin d’attirer de nouveaux clients (vacanciers, campeurs, etc). Elle est aussi la première en Corse à viser le grand public via les supermarchés et autres circuits de distribution.

Hiérarchisée en pyramide avec au sommet l’ensemble de la fratrie Bona (trois frères et une sœur), elle est gérée par leurs enfants et les employés sont souvent de la famille « indirecte ».

L’entreprise Pietra

« Portés par la volonté de retour au pays, Armelle et Dominique, lui originaire de Pietraserena petit village de 76 habitants situé sur le canton du Bustanico, réfléchissent à développer en Corse un projet porteur d’avenir.

C’est au cours de l’été 1992, assistant à un concert d’I Muvrini à Corte qu’est né leur désir de boire une bière corse. Mais elle restait à inventer.

«Prétendre non seulement faire une bière en Corse mais une bière Corse !» : l’idée est saugrenue. Et pourtant, la bière, que les Anciens nommaient le « pain liquide » s’inscrit dans l’histoire des civilisations et des peuples du Sud.
Fruit d’une alchimie délicate entre céréales et eau pure, c’est la première transformation que l’homme a trouvé pour conserver ses céréales et, par le travail des levures, purifier son eau. On estime la création des premières bières à 6.000 ans avant J.C.
Le pain liquide est alors une base de l’alimentation quotidienne et à ce titre un produit essentiel à la survie de la cité. La bière est présente en Assyrie (Syrie, Liban, Israël), les Egyptiens avaient leur «Maison de Bière».
On le voit, la bière est un pur produit du bassin Méditerranéen.

Située au cœur de cette Méditerranée, la Corse en a intégré toutes les influences sans pour autant perdre son authenticité et son caractère.

C’est dans ce double attachement au patrimoine et à la culture Corse, ainsi qu’à l’histoire de la bière, qu’est née la Pietra, le produit fondateur de la Brasserie.

Une bière corse à la châtaigne

«De sa naissance jusqu’à sa mort, toute la vie d’un corse est bercée par le châtaignier». Ce vieux dicton exprime parfaitement l’attachement des Corses à cet arbre magnifique. On a d’ailleurs parlé pour la Corse de «civilisation du châtaignier».
On appelle d’ailleurs le châtaignier «l’arbre de vie» ou encore «l’arbre à pain».

De l’arbre à pain au pain liquide, il aura fallu cependant 2 années de travaux de recherche.
 Il n’y avait jamais eu au monde de bière à la farine de châtaigne.

Etudes bibliographiques, chimiques, biologiques, travail sur la granulométrie de la farine, tests de vieillissement, bière «éprouvette» puis en brasserie pilote, toutes ces étapes permettent de valider que la châtaigne possède de belles qualités brassicoles ; hautement fermentescible, elle a une excellente incidence sur la tenue de la mousse et donne une belle coloration à la bière. Après quelques tâtonnements et de multiples essais, une recette est finalisée.

A partir de ce moment et malgré de multiples phases de doute, rien n’arrêtera la volonté d’Armelle et Dominique de faire aboutir leur projet de création d’une brasserie en Corse.

Reste à entreprendre une longue démarche préparatoire à l’implantation de l’outil de production.
Etudes financières et industrielles, études de marché, dimensionnement de l’outil pour faire face à la haute saisonnalité en Corse… recherche de fonds…. les premiers investisseurs seront les membres de la famille et les amis. Difficile effectivement de convaincre dans une région traditionnellement vinicole et dans un secteur d’activité pour le moins déclinant. S’il existait encore plusieurs centaines de brasseries en France au début du XXème siècle, il en reste moins d’une vingtaine en 1995.

Il faudra encore 2 années pour finaliser le montage technique et financier du projet. A l’automne 1995, les travaux débutent à Furiani.

La Brasserie Pietra, 1ère brasserie de l’histoire de la Corse, ouvre ses portes en juin 1996. La bière Corse existe, elle s’appelle PIETRA, par attachement au petit village dont est originaire la famille Sialelli : PietraSerena.

Parcourant les routes de Corse pour faire foires et marchés de produits régionaux, proposant la Pietra à la dégustation dans les magasins corses, faisant goûter et encore goûter dans les bars leur Pietra à la châtaigne, Armelle et Dominique ont peu à peu séduit, convaincu.
On trouve désormais la Pietra partout en Corse.

Depuis le clan Pietra s’est agrandit, avec Serena, bière blonde pur malt, Colomba, la bière blanche aux herbes du maquis, et Pietra Bionda, la blonde premium à la châtaigne.
»

[Source : http://www.brasseriepietra.com/fr/brasserie/son-histoire/]

Dans la bonne coopération et l’amour du travail, cette culture d’entreprise montre qu’une bonne gestion accompagnée d’innovations est la solution pour une entreprise de traverser les générations et de s’inscrire dans le temps, tout en grandissant au sein d’une famille.


Cependant, ce modèle s’est avéré être un échec pour d’autres entreprises et n’a pas été bénéfique pour certaines de celles qui étaient implantées dans l’île depuis plusieurs décennies,
Par exemple :

L’entreprise Cullioli

Située à Porto-Vecchio et créée en 1943, elle est une entreprise familiale alimentaire (épicerie).
Sa position au centre ville était un atout majeur pour une bonne activité rentable. Durant 30 ans, M. Cullioli a fait de son épicerie une image de sérieux et de qualité.

En 1973, il délègue son entreprise à son fils ayant juste travaillé quelques semaines auprès de son père.

N’ayant aucune expérience professionnelle, et aucune base dans la gestion du commerce, il n’a pas su gérer et de ce fait 5 ans plus tard, l’entreprise a fait faillite et a dû fermer ses portes.

Une société de primeur dont nous ne citons pas le nom

Située à Ajaccio depuis les années 60, et ayant connu un franc succès dans la région, elle était une entreprise familiale entrée en liquidation depuis l’automne 2012 suite à une mauvaise gestion de la part des enfants qui n’ont pu faire face à la crise économique et aux concurrents de la grande distribution.

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